Marc 4, 35 – 41. Être témoin dans la tempête. Pascal Geoffroy. Le dim 17 janvier 2021

Lecture biblique

« Ce jour là quand le soir fut venu, Jésus dit à ses disciples : Passons de l’autre côté du lac. Ils laissèrent la foule et emmenèrent Jésus sur le lac, dans la barque où il se trouvait. D’autres bateaux les accompagnaient. Or, voilà qu’un vent violent se mit à souffler. Les vagues se jetaient contre la barque, qui se remplissait d’eau. Lui,  à l’arrière, dormait, la tête sur un coussin.

Les disciples le réveillèrent et lui crièrent : Maître, nous sommes perdus et tu ne t’en soucies pas ?

Il se réveilla, parla sévèrement au vent et ordonna au lac : silence ! Tais-toi !

Le vent tomba, et il se fit un grand calme.

Puis il dit à ses disciples : Pourquoi avez-vous si peur ? Vous ne croyez pas encore ?

Mais eux furent saisis d’une grande crainte ; ils se disaient les uns aux autres : Qui est donc cet homme pour que même le vent et le lac lui obéissent. » 

Prédication

Chers frères et sœurs,

J’ai choisi ce texte qui me semble approprié à ce que nous vivons en ce moment dans l’actualité du monde qui ressemble assez fortement à une tempête. Comment, en temps que chrétien et comme église nous nous situons dans la culture contemporaine. Ce texte nous donne utilement plusieurs pistes de réflexion.

La première de ces pistes est qu’en six versets, ce passage comporte quatre interrogations. Première interrogation : les disciples interrogent Jésus. Interrogations deux et trois : Jésus interroge les disciples et interrogation quatre : les disciples s’interrogent eux-mêmes.

La tradition judéo-chrétienne largement décriée par ceux qui la connaissent mal, et qui est celle de l’Occident, s’est formée en mettant au cœur de notre civilisation, à la base de toute démarche intellectuelle et spirituelle le questionnement. On peut même remettre Dieu en question. On peut se laisser mettre en question par Dieu, on peut se remettre en question mutuellement. Notre culture s’est tout entière construite sur une formidable capacité à s’interroger sur tout, y compris et surtout sur ce qu’il y a d’ultime et de plus sacré. Il n’est pas excessif de dire que dans la foi juive et chrétienne, les interrogations sont infiniment plus importantes que les certitudes.

Notre tradition spirituelle unique et singulière refuse les réponses toutes faites et les arguments d’autorité. Il n’y pas de réponse déjà préparées aux questions et qu’il conviendrait d’adopter. La Bible a creusé le sillon d’une foi étonnante qui nous fait progresser de d’interrogation en interrogation et non à partir de réponses prémâchées sur tous sur les sujets, y compris les plus importants et déterminants de notre vie.

Le sens de la vie et de l’épreuve se recherche. Chacun doit s’impliquer réellement dans la recherche de sens de ce qui lui arrive, de ce qui arrive au monde, de ce qu’il fait et de ce qu’il est. C’est parfois douloureux et fatigant, mais c’est en même temps le ressort le plus puissant de notre vie et de notre culture. Je voulais évoquer ce point car dans les tempêtes sanitaires, sociales, politiques que nous traversons tous depuis un an. Il ne manque pas d’idéologies ou de discours religieux pour donner des réponses simples destinées en période d’incertitudes à rassurer les personnes ou le corps social dans leurs trajectoires individuelles ou collectives. 

Ce simplisme idéologique ou religieux n’est pas le socle de l’occident qui s’est tout entier construit intellectuellement, socialement, culturellement, sur la remise en question possible et libre des certitudes toutes faites et la mise à l’épreuve des vérités acquises précédemment. C’est là le creuset spirituel de notre civilisation. D’autres cultures ont fait ou font d’autres choix. Nous devons être conscients de ce qui nous a fait jusqu’ici.

On pourrait dire que, lorsque la crise aiguë est là, cela ne sert à rien de se poser des questions, il faut soit agir, soit subir notre destin si on ne peut plus agir. Ce récit nous montre au contraire qu’en pleine tourmente, c’est le moment de se poser les bonnes questions et de s’en laisser poser. 

On vit beaucoup mieux avec des interrogations sans réponse qu’avec des réponses sans questions.

Même Dieu se laisse questionner. Toute la Bible le montre depuis la Genèse et ce même Dieu nous interroge sans cesse et nous pouvons nous interroger ensemble à son sujet.

La deuxième chose que je veux partager avec vous est un tout autre aspect de cette histoire mais qui est aussi lié à notre responsabilité devant Dieu à l’égard des personnes qui ne partagent pas la foi en Christ. 

Il y a deux choses extraordinaires dans ce récit. La plus spectaculaire de ces deux choses c’est lorsque Jésus calme le vent et le lac. Il manifeste ainsi que son autorité est celle de Dieu lui-même, célébré tant de fois dans les Psaumes pour fixer les limites que les eaux ne doivent pas dépasser. Cette autorité divine de Jésus sur les éléments nous montre la puissance surnaturelle qui est la sienne. Beaucoup de chrétiens refusent la doctrine de la double nature du Christ. Sans affirmer d’une manière dogmatique justement que Jésus est le fils de Dieu, ce récit nous montre la puissance de Dieu qui agit en Lui.

Moins spectaculaire mais plus important encore, est le fait signalé avec insistance dans le récit que Jésus peut dormir. Pendant que la tempête fait rage, Jésus dort, précise le texte avec une note d’humour, la tête posée sur un coussin. Le monde peut s’écrouler. Sa barque même peut sombrer. Il pourrait mourir là, Jésus est en paix. Il a la foi en Dieu. Quoiqu’il arrive il est et il reste dans la main de Dieu, qu’il vive ou qu’il meure. C’est la foi de Jésus ! C’est là, la dimension humaine de Jésus. C’est cette foi justement que le Christ est venue donner aux êtres humains. Une foi inoxydable en son Père céleste. Nous sommes et restons en Lui dans l’épreuve, dans le cahot du monde…

Une foi qui ne connaît pas d’insomnie quand tout va mal, une foi qui ne se laisse impressionner par aucune menace, aucun danger, aucune tempête, aucune colère de la nature, de l’histoire ou des hommes… bref, … c’est une foi que les disciples dans la barque n’ont pas et que nous n’avons pas vraiment non plus… 

Et c’est arrivé à ce point qu’il nous faut faire attention à ce qui suit. Jésus ne fait pas de reproche à ses disciples. Il commence par calmer ce qui leur cause tant de frayeurs. Et c’est seulement ensuite qu’il leur dit : « pourquoi avez-vous si peur ? Vous ne croyez pas encore ? ».

Jésus nous donne ici un vrai modèle de témoignage. Il ne fait pas la leçon aux disciples en leur disant par exemple quand ceux-ci le réveillent : laissez moi dormir, faites comme moi, faites confiance en Dieu et tout se passera bien pour vous. Aucune arrogance, aucun mépris, aucune moquerie dans son attitude.

Jésus réveillé, fait face à ce qui menace et terrorise les disciples. Ce n’est qu’ensuite, qu’il va leur parler de la foi. Jésus nous montre ici ce c’est pour son Église d’être présent dans le monde et dans les tourmentes du monde.

Nous devons prendre au sérieux les craintes et même les paniques de nos contemporains sans les mépriser, même si nous ne les partageons pas. Nous devons lutter contre ce qui les accable, même si nous ne nous sentons pas menacés  par ce qui les inquiète. C’est seulement ensuite que nous pourrons leur parler de la foi en Christ qui chasse toute peur.

Annoncer que la foi est le remède à tous les problèmes risque d’être très peu suffisant pour nos contemporains dans la tourmente. Des discours rassurants à leur intention ne les aideront pas à découvrir la puissance de vie et de salut qui est en Christ. Ils ont besoin de voir des chrétiens calmes et paisibles surtout au milieu des tempêtes de la vie. Et cela va leur poser des questions. Ils ont besoin ensuite de chrétiens qui, prennent au sérieux leurs problèmes et font face à ce qui les inquiètent, eux. Ils ont besoin de chrétiens qui luttent contre les catastrophes qui menacent d’engloutir leur vie, en apportant la paix autour d’eux.

La tempête n’était pas le souci de Jésus mais à cause de l’amour qu’il porte à ces hommes, la tempête devient sa priorité et la paix qui est en Christ se propage à l’extérieur de Lui. Pourrions-nous transposer cette attitude dans la vie de notre Église ? Bien des choses ne sont pas nos priorités, nos préoccupations, mais elles inquiètent nos voisins, nos amis, nos proches, nos concitoyens. Prenons à cœur leurs difficultés même si elles ne sont pas les nôtres. C’est le sens de l’Évangile, c’est ce que fait le Christ dans ce récit. Montrons-leur dans l’action que leur problème devient réellement le nôtre et que nous allons tout faire pour y faire face.

Vous direz peut-être : nous ne pouvons pas arrêter des tempêtes. Seul Jésus peut faire une telle chose, c’est peut-être vrai. Mais souvenons-nous : l’Évangile a remis en question une à une toutes les vieilles superstitions païennes. les premiers chrétiens ont arrêté les jeux du cirque. Ils ont mis fin à l’esclavage, ils ont créé des dispensaires pour tous, des écoles, ils ont finalement créé une civilisation nouvelle, celle du droit et de la démocratie et ouvert la voies de bénédictions nombreuses qui sont notre héritage.

Ils ont cru cette parole de Jésus : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m’en vais au Père » (Jn 14, 12).

Et cette autre parole : « Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible. » (Mt 17,20)

Vivre l’Évangile de la paix et de la confiance aujourd’hui dans notre monde fébrile et agité est notre vocation et notre mission.

Ce récit nous montre trois choses importantes par gros temps de tempête : 1) se poser les bonnes questions et se laisser questionner par le Christ, 2) rester calme et paisible parce que le Christ est vivant et qu’il ne nous laisse pas tomber et 3) prendre en charge ce qui terrorise les autres.

Peut-être direz-vous notre foi est petite. Même le grain de moutarde, nous ne l’avons pas ! Alors rappelez-vous, la curieuse interrogation de Jésus : « vous ne croyez pas encore ? »  Le « pas encore » nous indique que l’avenir nous est ouvert et indique que ce qui n’est pas encore là nous sera donné. Le Christ est vivant, il dort dans votre barque :  « Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe.… » (Mt 7, 7-11).

Amen ! 

Marc 4, 35 – 41. Être témoin dans la tempête. Pascal Geoffroy. Le dim 17 janvier 2021
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