Marc 1, 1 – 8 ; 2 Pierre 3, 8 – 9 « Revenir à la source » Pascal Geoffroy

Culte du 6 décembre 2020 au temple de Reims

Marc 1,1-8 : 

Commencement de la bonne nouvelle de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Dans le livre du prophète Ésaïe, il est écrit :

« Voici que j’envoie mon messager devant toi,

pour t’ouvrir le chemin.

C’est la voix d’un homme qui crie dans le désert :

Préparez le chemin du Seigneur,

faites-lui des sentiers bien droits ! »

Jean parut alors dans le désert ; il baptisait et proclamait : « Changez de vie, faites-vous baptiser et Dieu pardonnera vos péchés. » Tous les habitants de la région de la Judée et de Jérusalem venaient à sa rencontre ; ils reconnaissaient publiquement leurs péchés et Jean les baptisait dans le Jourdain.

Jean portait un vêtement en poils de chameau et une ceinture de cuir autour de la taille ; il mangeait des sauterelles et du miel sauvage. Il proclamait : « Quelqu’un qui est plus fort que moi vient après moi ; je ne suis pas digne de me baisser pour délier la lanière de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau, mais lui, il vous baptisera dans l’Esprit saint. »

2 Pi 3,8-9 : Mais il est une chose que vous ne devez pas oublier, très chers amis : c’est que, pour le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à réaliser sa promesse, comme certains le pensent. Mais il fait preuve de patience envers vous, car il refuse que même un seul coure à sa perte ; au contraire, il veut que tous aient l’occasion de changer de vie.

Prédication

Frères et sœurs, 

Notre époque et peut être aussi singulièrement notre pays sont profondément marqués par toute sorte d’indignations qui s’expriment parfois sans retenue en privée mais aussi en public. Nous sommes devenus prompts à dénoncer les bêtises, les erreurs et les lâchetés des autres. Les réseaux sociaux ont probablement amplifié ce phénomène assez naturel, mais désormais les conversations courantes, les files d’attentes sont remplies de paroles incisives comme des couteaux. Les contrariétés de la vie courantes sont considérées comme des scandales intolérables qu’il faut dénoncer avec force.

Il s’agit d’en découdre avec les autres, de régler ses comptes. Un facteur aggravant de cette régression rapide de nos comportements est peut-être à rechercher dans la peur qui depuis un an frappe le monde entier avec l’épidémie de la covid-19.  Nous avons peur d’être malade, peur de perdre notre travail, peur de perdre nos libertés, peur de voir tout ce quoi nous sommes attachés comme la culture, la sécurité, la beauté de la nature balayer d’un seul coup, il y a la peur de ceux qui sont différents, la peur de l’avenir…

Mais la peur est mauvaise conseillère quand on s’y installe durablement. Elle conduit à accuser les autres d’être responsables de tous les maux. Il ne faut pas nier nos peurs mais les assumer, ne pas les refouler, mais les traverser pour remonter à ce qui les fonde. C’est la peur qui déclenche et entretient en nous les réflexes agressifs. Mais il ne suffit pas de dénoncer la peur. Il faut aussi la comprendre.

Au risque de vous surprendre, je vous propose au moins le temps d’une réflexion de considérer ce fait paradoxal, c’est que nos peurs ont leur origine dans l’amour !…  La source de toutes nos peurs, même les moins avouables est dans l’amour. c’est l’amour de la vie qui est la source de notre peur de la perdre. C’est pour ceux qui ont des enfants l’amour que l’on a pour eux qui nous fait avoir peur pour leur avenir.

Nos terreurs ont toutes leur origine dans l’amour, c’est très important de réaliser cela, même s’il s’agit d’un amour perdu, dévoyé, malmené. Car si nous prenons ce fait au sérieux, cela nous permet de voir que notre vie, toute notre vie, même avec ses aspects les plus tristes et les plus misérables est entièrement tributaire et dépendante d’une source qui est bonne et vivifiante. Même notre haine a ses racines dans l’amour. Je vous propose de regarder cela en explorant les premières phrases de l’Évangile de Marc : 

Lecture de Marc 1, 1 à 8.

Ce qui est véritablement étonnant dans ce récit, c’est que tous les habitants de Judée et de Jérusalem venaient confesser publiquement leurs péchés. 

Il ne viennent pas se plaindre des autres mais reconnaissent publiquement leurs propres torts, leurs propres fautes. Ils ne dénoncent pas les autres, mais se dénoncent eux-mêmes. Ils ne cherchent pas à démasquer les travers des autres mais parlent de leurs propres manquements. Ils ne s’occupent pas des défaillances des autres mais reconnaissent chacun leurs misères personnelles. Ils ne sont plus obsédés par les défauts des autres mais désormais ils regardent en face leurs propres impuretés.

Et ce n’est pas quelques cas isolés de personnes à la culpabilité maladive, mais il s’agit, précise le texte de tous les habitants du pays et de Jérusalem qui sont ainsi entrés dans une autre manière de vivre où chacun reconnaît le Mal qui est en lui, chacun reconnaît sa faiblesse personnelle à l’épreuve du Mal sous toutes ses formes.

Marc ne nous dit rien des péchés confessés publiquement, car ce qui compte, ce n’est pas l’étalage impudique de telles ou telle turpitude, mais le plus important est cette orientation nouvelle d’une vie qui cesse d’accuser les autres pour se reconnaître soi-même en défaut.

Qu’est-ce qui a pu se passer pour convaincre ainsi toute une population de changer ? Il faut bien comprendre que ce récit a été écrit après Pâques, après Pentecôte, dans la lumière de la pleine connaissance de la révélation en Christ. Ce n’est pas une chronique écrite en temps réel, mais un enseignement. Alors regardons ce qui nous est enseigné dans ce début de l’évangile et qui provoque cette dynamique étonnante. 

Deux petites phrases très brèves mais très importantes prononcées par Jean-Baptiste explique ce nouveau mouvement dans la population. Nous allons les regarder de près. La première est :  « changez de vie et Dieu et pardonnera vos péchés ».

Quand on accuse les autres d’être à l’origine de ce qui ne va pas, c’est pour les condamner. C’est le but : on accuse pour condamner. En revanche, quand au lieu de critiquer les autres, on se critique soi-même devant Dieu c’est pour recevoir son pardon. Le pardon, c’est quand on nous redonne ce qu’on a cassé et détruit une première fois. La critique abîme les autres et les relations, l’aveu de ses propres fautes devant Dieu restaure et redonne une vie embellie par la grâce divine. Le cœur humain a besoin de pardon, il a besoin d’amour, de beauté, de générosité. Mais quand on pense que cet amour et cette beauté ne nous sont pas accessibles, alors on abîme ce qui est à notre portée. C’est un peu comme dans le cas de maladies incurables, bien des personnes refusent le diagnostic qu’elles pressentent, elles refusent même les examens médicaux, car comme on en pourra rien faire pour elles et que le mal qu’elles redoutent est sans remède, elles préfèrent ne pas savoir. Alors que quand on sait qu’un traitement existe, on fait fasse plus sereinement aux maladies même graves. C’est pareil pour le pardon. Quand on ne sait pas que le pardon existe, on ne regarde pas en face le Mal qui nous frappe mais on peut assumer ce mal en nous quand on sait que le remède existe, je parle du pardon. L’esprit vindicatif forcené de notre époque révèle une ignorance du pardon de Dieu et un profond désespoir et la peur d’être rejeté et de ne plus être aimé. L’aveu de ses propres fautes est la marque d’un grand espoir, celui de pouvoir être pardonné et aimé malgré tout. 

Il y a une deuxième parole de Jean-Baptiste qu’il nous faut relire et méditer pour comprendre le changement survenu dans la population : « Quelqu’un qui est plus fort que moi vient après moi. Il vous baptisera dans l’Esprit Saint. » 

Jésus en se faisant baptiser devient solidaire de chaque être humain, même les pires. Jésus est venu aider les êtres humains à lutter contre le Mal qui est en eux. Et du coup, au cœur de l’Évangile, il y a cette solidarité du Christ avec chacun de nous qui entraîne une solidarité entre nous face à la réalité du Mal. Le Mal qui t’accable est potentiellement celui qui m’accable ou qui va possiblement un jour m’entraîner moi aussi. La solidarité de Jésus avec les gens de mauvaise vie entraînent la proximité de tous les êtres humains, pécheurs volontaires ou involontaires, pécheurs avérés ou cachés.

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Je voudrais dans ce texte, relever un détail qui donne un éclairage particulier sur le temps de l’Avent dans lequel nous sommes entrés depuis dimanche dernier.

Jean parle de celui qui vient après lui. Le mot grec traduit par « après » est opiso. Il veut dire après mais on peut aussi le traduire par derrière. Derrière moi, vient quelqu’un qui est plus fort que moi et qui vous baptisera dans l’Esprit Saint. 

La double traduction possible de opiso est intéressant. « Après » et « en arrière ». Je prends un exemple de la vie quotidienne pour bien faire comprendre ce qui est dit ici. Si la fleur sur un arbre fruitier pouvait parler elle pourrait dire : après-moi il y a le fruit, couronnement de tout le cycle de vie. Elle parlerait de ce qui vient après elle. Mais elle pourrait dire aussi en arrière de moi il y a la racine qui me porte et me nourrit et dans ce cas, la fleur parlerait de ce qu’il y a en amont de son existence.

Semblablement, quand Jean parle de Jésus, il dit, après moi vient celui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint, dans un couronnement d’amour et de justice. Il nous parle de ce que Jésus sera et accomplira. Et Jean dit aussi : en arrière de moi, à la racine de ma propre vie et de la vôtre, il y a quelqu’un de plus fort que moi qui m’envoie au nom de sa justice et de son amour, au nom de sa sainteté vous annoncer le pardon à tous.

À la racine de la venue de Jean-Baptiste, derrière lui, comme derrière nous, il y a une parole bonne qui nous précède, une parole d’amour.  

Marc commence son Évangile par ces mots : « Au commencement ». Ce sont aussi les premiers mots de la Genèse, quand Dieu a tout créé par sa Parole bonne et belle.

Jésus est celui qui va venir à la fin des temps mais il est aussi l’incarnation du Verbe Créateur depuis le début, en arrière-fond de tout ce qui existe.

Le temps de l’Avent est ce moment qui nous relie à l’avenir et à son aboutissement et nous relie en même temps au projet initial de Dieu. c’est le temps ou nous réalisons que celui qui vient est le même que celui qui est déjà venu dans le passé.

Entre l’avenir et le passé, nous pouvons traverser nos inquiétudes présentes, nos soucis, nos amertumes, nos détresses devant le Mal qui nous frappe aujourd’hui en nous rappelant dans ce temps de l’Avent le double sens de ce petit mot « opiso ». Nous allons vers un avenir où le Mal ne sera plus. Le Mal qui est en nous est promis à la défaite. Sa disparition est inéluctable. 

Cette espérance qui nous tend vers l’avenir repose sur le fait que Christ est venu dans la passé, incarnant la Parole la plus vieille du monde puisqu’elle existait avant la création du monde qui a été créé par elle.

La parole du Christ nous précède, sa victoire sur le péché et sur la mort a déjà eu lieu. Celui qui vient dans l’avenir et dans la lumière de Pâques  est déjà venu dans la nuit sombre de Noël.

Je vous invite à prolonger cette méditation dans la prière.

Ô notre Dieu, Jésus a dit : heureux les doux, car la terre leur appartiendra. Nous nous emportons contre tout ce qui fait obstacle à nos désirs et nous sommes rancuniers et vindicatifs.

Aie pitié de nous !

Jésus a dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. Mais nous nous sommes complus dans notre propre justice en accablant les autres de griefs réels ou imaginaires.

Aie pitié de nous !

Délivre-nous de toute amertume afin que nous puissions vivre le cœur en paix. Nous te le demandons au nom de celui qui était avant toute chose et qui vient au devant de nous, Jésus Christ, le Seigneur.

Amen ! 

Marc 1, 1 – 8 ; 2 Pierre 3, 8 – 9 « Revenir à la source » Pascal Geoffroy
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