Luc 6, 45 à 52 « Du phantasme à la réalité » Pascal Geoffroy Dim. 7 mars 2021 –

Texte biblique 

Luc 6, 45 à 52 : 

« Aussitôt après avoir nourri les cinq mille hommes,
Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque
et à le précéder sur l’autre rive, vers Bethsaïde,
pendant que lui-même renvoyait la foule. Quand il les eut congédiés, il s’en alla sur la montagne pour prier.
Le soir venu, la barque était au milieu de la mer
et lui, tout seul, à terre. Voyant qu’ils peinaient à ramer, car le vent leur était contraire, il vient à eux vers la fin de la nuit en marchant sur la mer, et il voulait les dépasser. En le voyant marcher sur la mer,
les disciples pensèrent que c’était un fantôme et ils se mirent à pousser des cris. Tous, en effet, l’avaient vu et ils étaient bouleversés. Mais aussitôt Jésus parla avec eux et leur dit : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! » Il monta ensuite avec eux dans la barque
et le vent tomba ; et en eux-mêmes ils étaient au comble de la stupeur, car ils n’avaient rien compris au sujet des pains : leur cœur était endurci. »

Prédication 

Frères et sœurs,

Le temps du carême est un temps où l’église se prépare à la résurrection de Jésus. C’est aussi un temps pour prendre une conscience renouvelée de notre besoin d’un retour au Seigneur par un approfondissement de notre conversion. J’ai choisi de vous lire ce passage qui me semble approprié au temps dans lequel nous sommes et si vous me trouvez un peu rude, nous pourrons en reparler ensemble.

Jésus est à n’en pas douter le phénomène le plus prodigieux dans l’histoire. Quand il est apparu, le monde antique a changé d’un manière radicale. Rien des subtiles religions, de l’inégalable philosophie et de la formidable culture antique n’est resté indemne suite à l’apparition du Christ. 

Après ce début imprévu et fulgurant, tout au long de l’histoire du Christianisme ensuite, à plusieurs reprises, on a pu penser que le christianisme était mort ou était sur le point de disparaître.

Il y a eu l’arianisme, dont l’histoire est passionnante et dont la sortie est fortement liée à la ville de Reims. Il y a eu les Cathares, l’oubli de la foi à la fin du Moyen-Âge, la période moderne, le rationalisme, le fanatisme nationaliste ou communiste, … 

Aujourd’hui de nombreuses personnes pensent honnêtement que le Christianisme a fait son temps, qu’il n’a plus rien à dire aux hommes de notre temps ni plus rien à apporter au monde.

Chaque fois dans cette longue histoire que je viens d’évoquer, au lieu de disparaître, le Christianisme a été renouvelé en profondeur, rajeuni et revigoré, retrouvant une nouvelle énergie, car le Christ sait très bien comment sortir du tombeau.

Il ne manque pas de voix aujourd’hui dans notre pays et en Europe pour redouter que l’Islam ne vienne à remplacer le Christianisme. S’ajoute la sécularisation accélérée de notre société, la place de plus en plus marginale faite au phénomène religieux.

L’incompréhension de nos élites sur le fait religieux est sidérante. De plus en plus de gens considèrent que la religion ne devrait plus exister et deviennent indifférents au contenu de notre foi. 

À tout ce contexte extérieur défavorable, il faut ajouter aussi des difficultés internes à l’église. Je parle ici de l’église corps du Christ, dans sa totalité. Depuis un an maintenant, la crise de la pandémie de la covid-19  a gêné considérablement la vie de l’église et malmené nos habitudes de retrouvailles fraternelles. 

Il y a aussi les scandales financiers ou sexuels qui sur tous les continents touchent surtout la grande église mais retentissent sur l’ensemble du christianisme.

Il y a encore l’évolution spirituelle des vieilles églises d’occident. Jésus n’est souvent perçu que comme une ombre de ce qu’il fut : jadis, il faisait des miracles, mais aujourd’hui c’est fini ; jadis, les gens s’intéressaient à l’Évangile, aujourd’hui ce temps est révolu. Avec les années qui nous séparent du temps où il est venu, nous avons fait des tas de progrès qui rendent l’Évangile moins pertinent. La parole de Jésus touchait les foules, aujourd’hui cette parole a été aseptisée, assimilée, neutralisée, rationalisée. 

Quand j’étais adolescent, les parents devaient déployer des trésors de persuasion pour emmener leurs enfants en catéchèse. Aujourd’hui ce sont les parents qu’il faut convaincre de l’intérêt de la catéchèse.

Voyez-vous, il y a les difficultés extérieures défavorables et il y a une situation interne qui n’est pas au mieux. C’est ce que nous vivons dans la barque de l’église. Nous ramons contre les vents contraires de la société. Et dans la barque nous avons le sentiment de ne pas avancer, de nous épuiser en vain. 

Nous ne pensons pas que Jésus puisse nous rejoindre. Pas Lui. Il n’est plus qu’une ombre du passé. La vie des églises est devenue une administration préoccupée de ses problèmes internes très lourds qui nous empêchent d’avancer. Même nos liturgies peuvent être pesantes ! La barque est chargée et parfois submergée ! 

Même lorsque nous prions, nous ne pensons pas toujours être entendu par quelqu’un et nous pensons encore plus rarement recevoir une réponse  qui corresponde exactement à notre besoin. Nous considérons souvent Jésus comme un spectre, un fantôme.

Toutes ces évolutions externes et internes ressemblent à une houle adverse qui freine la vie de l’église, et la rend difficile. Les vents sont contraires. Nous sommes un peu comme les disciples dans la barque. Nous ramons sans force et nous nous fatiguons.

Nous n’avancerons pas, tant que nous n’aurons pas regardé la réalité en face. Et la réalité, c’est que Jésus est vivant. Il avance à contre courant. Il avance vite, il nous précède, marchant légèrement sur les flots de l’actualité et de l’histoire alors que nous faisons du sur-place. 

Jésus est tellement rapide, fort et léger qu’il va nous dépasser, il pourrait nous dépasser mais non, il vient nous rejoindre, car il a décidé tout de suite après son baptême dans le Jourdain de relier indissolublement sa vie à celle de ses disciples. Et nous, pauvres disciples, dépassés par le cours des événements, nous sommes aussi dépassés par… Sa présence ! 

En fait, l’église aujourd’hui revit une expérience plusieurs fois vécue par l’église depuis 2000 ans et depuis la première communauté de disciples, contemporaine de Jésus, depuis cette expérience sur le lac de Tibériade. 

C’est dans l’église que règne l’incrédulité la plus grande, parfois même, sous l’apparence de la piété. Nous voudrions dégager du christianisme son esprit, sa quintessence, son génie, son principe, mais nous ne voyons ainsi devant nous qu’un fantôme du Christ, tant que nous ne reconnaissons pas Jésus, vivant, fort, léger. Nous déployons nos phantasmes sur le Christ – littéralement, c’est le mot de notre texte traduit souvent par fantôme. Mais nos phantasmes n’intéressent personne et ils n’ont rien à voir avec la réalité de Jésus tel qu’il vient vers nous.

La résurrection est souvent présentée comme une manière de s’exprimer, un pur symbole qui fait de Jésus un fantôme sorti d’une religiosité dépassée.

C’est ne pas voir que Jésus vient au devant de nous dans notre barque et il n’est Lui, pas le moins du monde ralenti par ce qui nous gêne et nous paraît insurmontable.

Jésus vient dans le contexte d’aujourd’hui avec les mêmes mots qui ont résonné une première fois dans la barque chahutée des disciples : « ayez confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! »

J’ai quatre choses très simples à vous dire : 

1 – La réalité du monde est très compliquée et pas très favorable à l’église.

2 – Nous ne sommes pas très costauds ni individuellement, ni collectivement pour avancer vite et loin.

3 – Jésus est vivant. Sa Pâques est réelle, sa résurrection est réelle. Jésus réellement vivant, vient aujourd’hui au devant de nous, nous rejoindre là où nous en sommes.

4 – Qu’avons-nous à faire ? Certainement pas d’accomplir un prodige : ça, c’est son affaire. Ce qui est important pour nous, c’est de le reconnaître. Cela demande aujourd’hui comme autrefois du temps. 

La « naissance » de l’église et sa « renaissance » dans les temps de crise, c’est la « reconnaissance » que le Christ réellement vivant vient à notre rencontre avec la puissance et la légèreté qui le caractérise. C’est ce mélange de puissance et de légèreté qu’on appelle la grâce.

Amen !

Luc 6, 45 à 52 « Du phantasme à la réalité » Pascal Geoffroy Dim. 7 mars 2021 –
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