Jean 20 : Voir ou écouter, il faut choisir. X.Langlois. Dim 11 avril 2021

Lecture Jean 20/19- Les disciples voient le Seigneur

19Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des autorités juives, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : « La paix soit avec vous. » 20Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. 21Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » 22Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ; 23ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »

24Cependant Thomas, l’un des Douze, celui qu’’on appelle Didyme, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint. 25Les autres disciples lui dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur répondit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ! » 26Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous. » 27Ensuite il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. » 28Thomas lui répondit : « Mon Seigneur et mon Dieu. » 29Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. »

Pour le temps de Pâques 

Christ est vivant ! Voilà le cri de louange que nous voulons faire retentir en ce temps pascal, d’un cœur entier et habité par la foi. Christ est vivant, il a vaincu la mort, son Père l’a ramené à la vie et avec lui, nous ressuscitons dans la foi, l’espérance et l’amour. C’est notre conviction, c’est le cœur de notre foi, l’essence de notre être chrétien. Mais une fois que l’on a dit cela, nous nous étonnerons peut-être, d’éprouver des doutes en regardant le spectacle du monde qui nous entoure. Violence sociale, haines communautaires, crise économique, sanitaire, psychologique, le monde étale toutes ses pathologies, le monde est malade. A bon droit, nous pourrions tout aussi bien nous exclamer : où est donc cette victoire que nous célébrons avec tant de conviction ? 

Quand Thomas demande à voir pour croire, je redoute pour lui, que la foi ne se joue ailleurs. La foi se joue contre ce qui se voit, c’est d’ailleurs ce que dit Paul aux Romains : nous avons été sauvés, mais c’est en espérance, or voir ce qu’on espère n’est plus espérer 8/24. C’est contre ce qui se voit que des hommes et des femmes croient. Leur foi profonde, leur détermination spirituelle, morale, existentielle, ne s’enracine pas sur un constat que leur sens naturel pourrait faire, mais sur une parole qui leur vient de Dieu, la Parole de Christ qui est révélation. La révélation s’oppose au voir. 

Ceci étant dit, en ce dimanche de la résurrection, il nous est difficile de dissocier cette confiance au Christ vivant par-delà de la mort, de toutes ces expériences qui se fondent sur ce qui a été vu. La résurrection c’est le Christ vivant qui apparaît à des femmes et des hommes, lesquels ont peur, ne comprennent pas immédiatement de qui il s’agit, le confondent avec le jardinier ou éprouvent des doutes … Mais dans tous les cas en le voit. C’est parce qu’elle l’a vu que Marie-Madeleine ira dire aux disciples qu’il est vivant. Nous pourrions allez jusqu’à dire qu’à Pâques, les premiers témoins ont bien du mal à en croire leurs yeux. Or aujourd’hui on reproche à Thomas le fait de vouloir voir. Jésus lui-même qui lui reproche son incrédulité, l’appelle à devenir un homme de foi. N’est-ce pas deux poids deux mesures ? Quand d’autres ont eu le privilège de voir, Thomas ne demandent rien moins que cette même grâce. 

Il y a donc peut-être une ambivalence autour du voir, qu’il serait bon d’éclaircir avant d’aller plus loin. Commençons par souligner l’aspect positif du « voir ». C’est l’un de nos 5 sens, il entre dans la composition de notre humanité qui demeure entière dans la foi. Dans la foi nous restons des croyants dotés de ces sens et appelés à les exercer. De surcroît, le fait de voir, loin d’être un défaut, est une occasion d’enrichissement. Je m’émerveille de ce que je vois, ou je m’en effraie, je prends connaissance de ce qui m’entoure, du monde, des êtres et je me situe au milieu d’eux. Par la vue comme par tous les autres sens, nous recevons le monde et surtout, nous en prenons connaissance, nous en faisons l’expérience. Dire « je ne crois que ce que je vois » c’est refuser un renoncement à soi-même, refuser l’abolition d’une part de sa connaissance. Plus encore, c’est refuser de faire une confiance aveugle à de prétendus « maîtres de vérité », à se livrer à la parole d’un autre. Croire ce que l’on voit, c’est honorer cette forme d’intelligence sensorielle qui est nôtre. 

Mais dire que l’on ne croit que ce que l’on voit, va au-delà de la valorisation d’un sens. Cette phrase limite le « croire » à ce qui est vu, elle les superpose, identifie l’un à l’autre. Or la vue peut être trompeuse, tronquée, illusoire. Longtemps on a cru que le soleil tournait autour de la terre, quand je me promène en montagne je sais que les sommets sont toujours beaucoup plus éloignés qu’il ne me semble et le nomade dans le désert a la sa sagesse de ne pas se fier au mirage, à ce qu’il croit voir. 

Et puis surtout, dire que l’on ne croit que ce que l’on voit, c’est faire injustice au « croire », c’est le réduire à une bien faible surface. C’est regrettable car j’ai besoin de croire en ce que je ne vois pas. L’amour de l’autre, de l’ami, de Dieu, de l’amoureux ou de l’amoureuse, je peux en voir quelques signes, mais je ne le vois pas dans sa réalité, dans sa profondeur, dans son intimité qui n’appartient qu’à l’autre. On n’est jamais complètement assuré de l’amour de quelqu’un, mais si l’on n’y croit pas, il ne peut y avoir d’histoire d’amour. Donc la vue peut être trompeuse, mais également, je ne peux pas tout voir, et si j’attendais de tout voir pour croire, alors je ne croirais jamais en rien. 

Cruelle situation. L’homme serait donc piégé par lui-même, par ses propres sens qui lui sont pourtant indispensables. Nous ne pouvons pas ne pas voir et pourtant notre vue nous trompe souvent ! Comment dépasser l’impasse ? Comment croire sans aveuglement, sans renoncer aussi à ces sens qui permettent notre intelligence. Comment croire sans voir et sans mépriser l’intelligence de la vue ? 

Pour répondre à cette question je voudrais m’aider d’un philosophe majeur, Descartes. Je le cite ici parce que c’est l’homme du doute, du toute absolu, systématique. Et plus intéressant encore, l’homme qui a fait du doute une méthode pour accéder à la vérité. Ce qui fonde son expérience philosophique c’est le fait de n’être certain de rien, et il n’a pas été le premier à le dire ! Rien n’est certain donc, pas même mon existence, pas même le monde que je crois voir. La preuve qu’il donne de cette incertitude, c’est que lorsque nous dormons et rêvons, nous avons le sentiment de vivre réellement ce que nous rêvons, alors que tout ceci est complètement irréel et n’est qu’en esprit. Rien n’est assuré donc, sauf un chose, que je veille ou que je dorme : je pense. Je pense donc je suis. Et partant de là, c’est la naissance du pur rationalisme, par sa raison, Descartes pose la possibilité pour l’homme qui a eu le courage d’aller jusqu’au bout du doute, de découvrir des idées claires et distinctes pour comprendre le monde, l’organiser et lui donner du sens. Au sommet de toutes ces idées, l’idée du Dieu infini et infiniment bon, qui permet au sage d’avoir des idées claires et distinctes sur le monde. 

Je cite ici abondamment Descartes car il est le philosophe qui d’une façon décisive, dénonce le caractère illusoire de ce qui se présente à nos sens. Tout cela est illusoire et doit être mis en doute pour être libre afin de pouvoir lire ce monde de façon nouvelle. Ce qui est juste n’est pas ce qui se voit, mais ce qui se perçoit par-delà ce qui se voit. Le voir n’est pas aboli mais renouvelé par une pensée qui ordonne clairement et distinctement. Contre le chaos naturel, l’esprit lit et met en ordre. 

Il est donc insuffisant de voir car sans cette mise en ordre tout demeure confus. Les premiers témoins de la résurrection, bien que voyant le Christ ont tous douté ou sont passé à côté de l’essentiel avant de reconnaître le Messie de Dieu en celui qui se tenait devant eux. Rappelons-nous les disciples d’Emmaüs, combien de temps ont-ils passé dans la compagnie du ressuscité avant de le reconnaître comme tel ? Voir ne suffit pas pour croire. Ce qui est vu ne dévoile pas forcément la vérité. Elle peut même l’opacifier.

Alors quand Thomas demande à voir, nous devons comprendre qu’il demande à voir autre chose que ce monde qui semble inchangé. Il faut comprendre aussi la dimension psychologique de celui qui, comme les autres disciples, ont été traumatisés par le déferlement de violence à la Passion. Le vendredi Saint, tout ce qu’ils espéraient semblait s’être écroulé. Et pour Thomas, en ce jour rien ne semble avoir changé. Oui, comme je le disais au début de ma prédication, pour bien des raisons, lorsque nous regardons le monde, nous pourrions croire que le mal a triomphé. Ainsi, la résurrection nous appelle à mettre à distance ce que nous voyons, à ne pas nous laisser tromper par la réalité, et finalement à être cartésien en la mettant en doute. Croire c’est mettre en doute cette réalité, quand elle veut nous faire croire que tout est perdu. Mais Thomas ne parvient pas à mettre en doute la réalité de ce monde. Il est prisonnier de ce qu’il voit, car ce qu’il voit ne dit pas toute la vérité. Ah si seulement Thomas, que l’on juge incrédule eut été un peu plus cartésien ! 

Cependant, Thomas, ne demande pas seulement à voir autre chose que ce qu’il voit, il demande surtout à voir ce qu’il entend. En effet, à bien lire le texte, si Thomas ne met pas en doute ce qu’il voit, il met en doute une parole, celle de la toute première prédication de l’église, celle des premiers apôtres qui affirment avoir vu le Seigneur. C’est contre cette prédication que Thomas se pose. Il veut croire, mais sur ce qu’’il aura constaté par lui-même et non ce que lui rapporte ses amis disciples avec lesquels il a pourtant voyagé, mangé, dormi, écouté le Seigneur vu ses miracles … A la différence des tous premiers témoins devant lesquels le ressuscité fait irruption sans la médiation d’aucune prédication, Thomas réagit à la prédication, même embryonnaire de ces premiers témoins. Ce qui le conduit à désirer voir, c’est l’impossibilité d’entendre. Le « voir » peut être même considéré ici comme une stratégie de l’évitement. En voulant voir ce qui me paraît absolument improbable, je m’épargne d’écouter ce qui m’est dit.

Ainsi nous voyons que le voir s’oppose à l’écoute. Et quand Jésus lui apparaît, avec bienveillance et tendresse, il valide la véracité de la prédication. Les apôtres n’ont pas menti, il est ressuscité, et c’est cette assurance qui doit permettre au croyant de relire le monde autrement que ce qu’il donne à voir de lui-même. A cause de cette parole nous sommes appelés à devenir des hommes et des femmes de foi, capables de « cartésianisme », capable de mettre en doute la réalité, pour relire le monde au travers d’une idée claire et distincte : la résurrection du Fils qui nous dit, contre le mal, la grâce du Père. 

Voir ou écouter … voilà le choix qui nous est devant nous. Et je constate que bien souvent dans les écritures, nous sommes invités à écouter plutôt que de nous laisser intimider par ce que nous voyons. Aux hébreux il était demandé de ne pas regarder aux chars de Pharaon, Esaïe nous demande de ne pas nous laisser effrayer lorsque les eaux montent ou que le feu embrase, il nous dit que nous ne serons ni submergés, ni consumés. Il faut écouter, pour non pas basculer dans un déni du monde et fuir dans une foi complètement éthérée, mais pour tenir le monde à sa juste distance et pour être libre dans ce monde. Ainsi la plus grande confession de foi dans l’ancien testament commence par ces mots « Écoute Israël … » Qui écoute peut avancer au milieu de ce qu’il voit ! 

Frères et sœurs, ce que nous voyons sans cesse dans le monde, peut à bien des égards nous effrayer et nous rendre captifs de la peur. Le danger est d’autant plus grand que nous sommes dans une société de l’image, du média, des fake news. Un monde en crise où la multitude d’images invérifiables, ou difficilement vérifiables, tourbillonnent de plus en plus vite et à l’infini. Qui veut voir risque bien de devenir captifs d’un mirage, au point de s’enfermer dans une virtualité qui le rendra sourd à toute parole autre, nouvelle, bonne et heureuse. L’espérance ne vient pas de ce qui se voit, dit Paul. Contre ce qui se voit, la Bible fait entendre un autre appel : Écoute. Écoute Israël ton Dieu est un. Écoute église de Jésus-Christ, il est vivant. Écoute et tu pourras voir sans peur. Écoute et tu pourras croire en paix. Amen

Jean 20 : Voir ou écouter, il faut choisir. X.Langlois. Dim 11 avril 2021
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