Actes 4,32 à 5,11 Et l’Église fut ! Dim 27 juin 2021. Xavier Langlois. Reims

Lecture de Actes 4/32 à 5/11

La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme, et nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun. Une grande puissance marquait le témoignage rendu par les apôtres à la résurrection du Seigneur Jésus, et une grande grâce était à l’œuvre chez eux tous. Nul parmi eux n’était indigent : en effet, ceux qui se trouvaient possesseurs de terrains ou de maisons les vendaient, apportaient le prix des biens qu’ils avaient cédés et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins.

Ainsi Joseph, surnommé Barnabas par les apôtres – ce qui signifie l’homme du réconfort – possédait un champ. C’était un lévite, originaire de Chypre. Il vendit son champ, en apporta le montant et le déposa aux pieds des apôtres.

Un homme du nom d’Ananias vendit une propriété, d’accord avec Saphira sa femme ; puis, de connivence avec elle, il retint une partie du prix, apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres. Mais Pierre dit : « Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur ? Tu as menti à l’Esprit Saint et tu as retenu une partie du prix du terrain. Ne pouvais-tu pas le garder sans le vendre, ou, si tu le vendais, disposer du prix à ton gré ? Comment ce projet a-t-il pu te venir au cœur ? Ce n’est pas aux hommes que tu as menti, c’est à Dieu. » Quand il entendit ces mots, Ananias tomba et expira. Une grande crainte saisit tous ceux qui l’apprenaient. Les jeunes gens vinrent alors ensevelir le corps et l’emportèrent pour l’enterrer.

Trois heures environ s’écoulèrent ; sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre l’interpella : « Dis-moi, c’est bien tel prix que vous avez vendu le terrain ? » Elle dit : « Oui, c’est bien ce prix-là ! » Alors Pierre reprit : « Comment avez-vous pu vous mettre d’accord pour provoquer l’Esprit du Seigneur ? Écoute : les pas de ceux qui viennent d’enterrer ton mari sont à la porte ; ils vont t’emporter, toi aussi. » Aussitôt elle tomba aux pieds de Pierre et expira. Quand les jeunes gens rentrèrent, ils la trouvèrent morte et l’emportèrent pour l’enterrer auprès de son mari. Une grande crainte saisit alors toute l’Église et tous ceux qui apprenaient cet événement.

Prédication 

Si le livre des Actes nous parle du commencement de l’Église de Jésus-Christ, c’est pour nous inviter à, nous-mêmes, poursuivre l’histoire, à être et faire église en prenant le relais de ce témoignage et en lui donnant une suite fidèle. Mais pour prendre le relais, pour bien entrer dans cette dynamique il faut d’abord s’inscrire dans une vision ecclésiale, saine, équilibrée, épanouissante. Or, le récit que nous venons de lire, me dit bien des choses sur l’église qui toutes ne me parlent pas, dans lesquelles je ne me reconnais pas, voire même que je récuse. Malgré toute l’humilité que je me dois devant ces illustres apôtres, quand j’entends les mots de Pierre, presque ironiques en rendant attentive Saphira au son des pas de ceux qui viennent d’enterrer son époux et qui s’approchent, pour lui faire comprendre qu’elle ne va pas tarder à connaître le même sort, je me braque. Je me dis que l’on pourrait malheureusement déployer ici la justification d’une institution ecclésiale toute puissante et impitoyable. Où est la grâce ? N’était-il vraiment pas possible d’inviter ce couple à la repentance et à la conversion ? N’est-ce pas là le fond de toute prédication, défricher pour tout auditeur, un chemin possible vers le Dieu qui nous a réconciliés ? Manifestement, cela ne semble pas être le sujet. 

Et pourtant le texte nous parle bien d’une communauté type, d’une communauté idéale dont le modèle doit nous inspirer. C’est l’histoire d’une communauté qui ose le partage d’une manière radicale. A un point tel, qu’on s’est interrogé sur le réalisme historique de ce que rapporte Luc. Il faut dire que cette expérience est assez unique et on ne la trouve attestée nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament. Une question a donc été débattue sur la réalité historique de ces événements, et si je rapporte ici ce débat c’est, qu’in fine, sa réponse va induire mon interprétation. J’y reviendrai. Donc, que des foules mettent tout en partage, on le comprend sous le mode de l’utopie, Platon l’a décrit dans la cité idéale de sa république où il parle d’une mise en commun totale jusqu’à la dissolution de la cellule familiale, mais, dans la réalité ? Dans la réalité il y a eu des précédents. Chez les grecs et les romains il y avait des communautés, les thaïse ou les collegia. Il s’agissait de micro sociétés qui se rassemblaient autour d’intérêts communs, sociaux, religieux, professionnels et qui se reconnaissaient entre eux un devoir de solidarité. Plus proches des apôtres, il y avait la communauté juive essénienne qui exigeait de ces novices, de renoncer à tout bien personnel au profit de la communauté. Et on sait qu’une telle communauté était installée aussi à Jérusalem.

Ces exemples nous disent que de l’utopie peut être vécue. Cette vraisemblance est encore accentuée par la théologie de Luc pour qui, l’idéal du Royaume de Dieu s’accompagne d’un impératif de justice sociale. Que l’on se rappelle dans l’évangile, la parabole du riche insensé qui veut tant et tant emmagasiner, ou la parabole du pauvre Lazare et de l’homme riche. Cette parabole est intéressante parce qu’elle annonce la restauration du pauvre Lazare (pauvre d’un point de vue économique) dans le Règne de Dieu, là où toute justice est rétablie (et par ricochet nous comprenons l’injustice sociale comme une structure du péché). Ainsi, à la lumière de l’Utopie du Royaume de Dieu, nous pourrions reconnaître ici une communauté qui vit les prémices de ce Règne, et qui en tire les conséquences fraternelles.

Nous serions donc devant la réalisation d’une utopie spirituelle, théologique. Une démarche, et il faut le rappeler, qui n’a rien de politique. Il n’est pas question d’une doctrine du mépris des richesses, de la collectivisation des moyens de production ou d’abolition de la propriété privée. Cette utopie se réalise au cœur d’une logique fraternelle, du peuple des baptisé qui se reconnaissent comme n’ayant qu’un seul cœur et qu’une même âme. C’est dans le cadre de cette fraternité que le partage naît et prend tout son sens. L’œuvre de l’Esprit transforme une foule hétéroclite en réseau d’hommes et de femmes qui se soutiennent et parmi lesquels il n’y a plus d’indigent. C’est donc une communauté idéale, dans le sens où elle s’approprie l’idéal du Royaume, dans une action, dans une œuvre qui reste dans les limites de ses possibilités. Et la conséquence de cette mise en commun, et qui va bien au-delà de la seule question du partage de biens, c’est la révélation d’une force inhérente à l’unité de cette communauté pourtant objectivement fragile dans ce monde menaçant qui l’entoure. Force non pas à l’image de la puissance politique humaine qui se fait généralement violente, mais force du témoignage. Cette unité sans faille est force donnée par l’Esprit Saint car c’est par sa grâce que cette communauté vit et agit en cohérence avec ce qu’elle croit. 

Quand on pose ce constat dont l’argent n’est qu’un signe, celui d’une communion pleine et entière qui indique une vitalité spirituelle, on se met en état de bien entendre le drame que va traverser cette communauté. Or ce drame, bien qu’il naisse à partir d’une question d’argent, n’est pas un problème d’argent. D’ailleurs, plus généralement, l’argent n’est pas un problème pour cette communauté. Le récit nous apprend qu’à tout moment, chaque membre est libre de l’usage de son bien. Dans cette communauté qui vise à l’idéal du Royaume de Dieu, on respecte la liberté des enfants du Seigneur car, comme l’écrit Paul, là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté. Ananias et Saphira ont toujours été libres de la gestion de leur patrimoine. Vendre, pas vendre, donner pas donner, tout ou partie … ils ont toujours été libres. 

Le problème n’est pas dans le don mais dans le mensonge. Ils n’ont pas dit la vérité. Est-ce bien grave ? Dans les faits non. On pourrait se dire que cela ne regarde que leur conscience et qu’après tout, cela ne met pas en péril le devenir de la communauté. Le problème est que si on en reste à une responsabilité individuelle, on relativise dangereusement la responsabilité communautaire. Or une communauté n’est pas la juxtaposition d’individus évoluant seuls dans leur responsabilité et isolés les uns des autres, c’est même tout le contraire : l’expérience d’une coresponsabilité. Dans le domaine politique, si personne ne peut vraiment définir la notion de peuple, comme le dit Hannah Arendt, on le reconnaît par son gouvernement et le projet collectif qui lie les individus, que les individus se donnent pour faire société et vivre de l’histoire. C’est en sortant de son isolement et en se sentant co-responsable d’un projet commun que l’humain entre dans l’histoire et devient. 

Pour la communauté ecclésiale, ce qui la gouverne c’est l’idéal du Royaume, et le désire de porter ensemble authentiquement cette promesse qui permet aux chrétiens isolés de faire peuple, peuple de Dieu, et de faire histoire. Cette unité de cœur, d’âme et d’action, qui peut aussi paraître étouffante et ressembler à de l’unanimisme, est en fait la nécessité spirituelle pour le devenir de l’histoire de l’église. Ce n’est pas l’histoire d’individus isolés, mais de chrétiens qui font peuple sous le gouvernement de l’Esprit et co-responsables dans l’histoire qu’ils partagent. 

Du coup, le véritable problème comme l’écrit l’exégète Daniel Marguerat, c’est que le don ainsi lésé, n’a plus valeur de vérité. Ananias et Saphira n’évoluent pas dans l’être mais dans un paraître narcissique, puisqu’il s’agit somme toute de prétendre à une générosité qui n’est pas la leur. Mais ce narcissisme les coupe de la communauté sur la question de la vérité. Contre une certaine transparence, mot qu’il faut utiliser avec beaucoup de prudence et de réserve, (la totale transparence nous ne la devons à personne si ce n’est à Dieu), le mensonge n’est pas uniquement un moyen de tromper l’autre, mais de se cacher de l’autre, de se refuser à l’autre, de refuser sa vérité à l’autre et il instaure une distance, une rupture. Ainsi, la désunion est fille du mensonge, car ce dernier est la dissimulation de l’être. Quand l’unité est force spirituelle de cette communauté, nous comprenons que la désunion qu’entraîne le mensonge devient une question spirituelle parce qu’elle porte atteinte à cette unité.

Et c’est ce dont va nous parler le texte, non pas d’une question morale, « mentir ce n’est pas joli » mais de l’opposition entre deux logiques spirituelles : vérité mensonge, unité division. Et les mots du texte ne sont pas trop forts pour souligner la nature spirituelle de cette opposition. On nous présente le couple non pas comme des petits menteurs, comme des petits joueurs, mais comme des êtres portés par un esprit tout différent de l’Esprit Saint. 

Satan rempli le cœur d’Ananias ; à l’inverse, les disciples sont remplis par l’Esprit de Dieu. Annanias et Saphira se sont mis d’accord sur leur projet. Le texte utilise le verbe sumphoneo, symphonie, qui est utilités en Mt 18/19 pour l’accord à rechercher dans la prière. Le mot est fort car il nous parle d’une unité de cœur inspiré par Satan qui brise l’harmonie de la communauté voulue par l’Esprit. Et enfin quand Annanias meurt, Luc écrit qu’il expire, qu’il s’éteint par manque de souffle.  (usage du mot unique ici et pour la mort d’Hérode). Celui qui a trompé l’Esprit s’éteint dans l’absence de souffle, les mots ne sont pas neutres. Le couple fonctionnait comme une ecclésiole dans le mal et Pierre fait donc œuvre de vérité en démasquant derrière le mensonge d’Ananas, la stratégie d’un autre décideur, l’anti-Dieu. Et c’est donc en toute bonne conscience avec l’exhortation biblique « Tu ôteras le mal du milieu de toi » Dt 13/6 que Pierre les réprouve. 

Quelle ironie tout de même. Celui qui réprouve le couple inspiré par Satan est l’apôtre à qui Jésus a dit « arrière de moi Satan » lorsqu’il s’opposait à l’œuvre de la Croix. Il y a tout de même, deux poids, deux mesures, et une fois que l’on a fait l’exégèse du texte, je ne suis toujours pas convaincu par la justification de la mort de ce couple. Aucune idée, aucun idéal ne justifie la mort. Comme le dit Sébastien Castellion, contemporain de Calvin, « tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme ». Aucune mort ne saurait faire avancer une cause légitime. 

Que faire de ce texte alors ? A mon sens, si nous lisons ce récit comme un texte historique, alors nous sommes devant une déviance. Celle d’une puissance, la puissance de l’évangile, qui se transforme en pouvoir humain qui est toujours marqué par la violence. Il m’est difficile de recevoir ce texte autrement que comme un récit symbolique. Un récit qui nous parle davantage de communauté que d’individu, ce qui expliquerait l’absence d’invitation à la repentance et qui voudrait nous dévoiler l’église. Car chose étrange, dans l’œuvre de Luc, évangile et Actes, c’est ici pour la première fois qu’apparaît le mot « église » quand une grande crainte s’empare des témoins de la sanction. Comme si enfin, après ce drame, on pouvait sérieusement parler de l’église. 

Nous sommes devant un récit symbolique qui réactualise le récit de la genèse et de la chute dans l’histoire de l’église. Comme aux jours d’Adam et Ève, c’est l’histoire d’un couple, qui connaît une situation de départ idyllique, et qui vont, de connivence, choisir la transgression. Un couple inspiré par le Satan/serpent, couple interrogé séparément et qui vont connaître la sanction et le bannissement. Je ne crois pas qu’il s’agisse de l’histoire de M Ananias et de Me Saphira, mais l’histoire symbolique d’une chute, qui n’est pas là pour faire mal, pour condamner, pour culpabiliser ou faire peur mais qui donne accès à la vérité. De la même manière que le récit de la genèse révèle à l’humanité sa véritable condition qui est entièrement traversée par la fragilité, l’homme n’est pas tout puissant mais ô combien vulnérable et il a besoin du salut de Dieu, le récit du livre des Actes révèle la condition véritable de l’église qui est faillible. 

Pour la première fois de sa jeune existence, la communauté des croyants constate que ce qui menace son témoignage ne vient pas seulement de l’extérieur, mais de l’intérieur. C’est en son sein que couve le paraître, le mensonge et la désunion. C’est cette communauté qui se découvrant faillible est nommée église, comme si dans la découverte de sa fragilité elle devenait enfin mature. Il faut lire ce récit sur le mode symbolique pour accéder à sa vérité spirituelle, l’église est faillible, ce n’est pas une faiblesse, bien au contraire, c’est une force que de le savoir, car l’église qui se sait faillible cherche encore plus intensément le secours du Saint-Esprit. Et peut-être est-ce là, un des fils qui tissent notre fraternité, notre unité, la conscience de cette fragilité et la quête de l’Esprit.      Amen. 

Actes 4,32 à 5,11 Et l’Église fut ! Dim 27 juin 2021. Xavier Langlois. Reims
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